15h
Edgar et Théodore jouent avec Aroun et Briac, le fils de Magali, qui vient d'arriver en compagnie de son père, natif du Chili et de son amie, Nicaraguayenne. Ils avaient déjà été marqués par la rencontre d'enfants expatriés à Bali, en particulier par le fait qu'ils parlaient plusieurs langues. Briac fait aussi partie de ces enfants qui, très jeunes, évoluent dans un environnement multilingue. Il s'agit pour lui du français, sa langue maternelle, de l'espagnol, sa langue paternelle, de l'anglais et de l'hindi, ses langues scolaires. Cette rencontre a sur eux un effet considérable, dans la mesure ou ils perçoivent nettement sa capacité à jouer aussi bien avec eux qu'avec Aroun, en l'occurence, avec qui il parle en anglais ou en kanada (dont il possède aussi quelques bases). La langue est une frontière. Et il ne suffit pas de pouvoir partir à l'autre bout du monde si on est pas capable de franchir cette frontière là. Soyons clairs : personne ne parle le français. Je les entends rire de concert alors qu'ils visionnent un film en anglais ; et j'imagine que c'est par ce type d'expérience qu'ils prendront confiance dans leur capacité à rencontrer la différence.
On est forcément destabilisé, quand on débarque dans un tel environnement. On doit choisir entre le repli sur son identité connue ou le saut dans une forme d'inconnu, qui prend trop souvent le visage de la peur du ridicule. Bien sur, à un certain niveau de rencontre, la langue peut devenir une barrière indépassable si on ne la maîtrise pas un tant soit peu.
La richesse du voyage, telle que j'aime à la vivre, vient pourtant de ce moment ou on sort de son univers connu pour essayer de pénétrer celui d'autrui. Les interactions se multiplient, des connexions apparaissent, et mon univers se place sous de nouvelles perspectives. C'est à ce moment là qu'on reproche souvent aux français de ne pas accepter cette mise en question. J'aurais toujours à l'esprit cette série d'aphorismes découvertes dans le café des poètes surplombant le marché de Dalat (Vietnam), qui décrivait chaque nationalité par un trait particulier : « the French who knows better than everyone »...
Du fait de l'affluence dans la maison, nous avons tardé à lever le camp. Sans projet précis, et comme la matinée avançait, nous décidâmes de nous rendre au Mylari, un restaurant réputé ne servant que des dosas. La gargotte ne paye pas de mine, et on s'y prend à deux fois avant d'y rentrer. Finalement, ils sont savoureux et ressemblent vraiment à de grosses crèpes, mais servies avec des chutneys. Nous partons ensuite à la recherche d'un magasin d'antiquités. Malheureusement pour nous, personne ne semble connaître la rue, non plus que le magasin. A force de tourner en rond, nous devrons accepter l'aide d'un rickshaw, et alors que nous décidions finalement de nous rendre dans le centre, nous passâmes devant le shop, qui ressemble plus à une fabrique. L'un des menuisiers présent appelle la propriétaire, et à l'aide de recommandations, elle consent à ce que nous pénétrions dans l'entrepôt. Il faut que j'y revienne avec la propriétaire, qui seule, fixe les prix.
Mon cher beau-père a une lecture attentive, et il vient de s'enquerir du fait qu'aucun de mes textes n'abordait le système des castes
Je cite : « A votre retour, je pourrais vous prêter le livre d'EVE CHARRIN ." l'inde a l'assaut du monde", car il décrit bien les axes de développement de ce pays, par rapport à la CHINE . A ce dernier la fabrication bon marché, à l'INDE la matière grise avec le développement de certains ilots tournés vers l'avenir, au milieu d'un pays aux structures ancestrales. Nous verrons comment vont se développer dans l'avenir le pays du BRIC: BRESIL, INDE, et CHINE. »
Comme me le disais un français au discours désenchanté après ces 12 séjours en Inde, la seule chose qui a changée en vingt ans, c'est le portable, la télé et les voitures, qui se multiplient. Pas seulement d'après ce que j'en vois. Les industriels de la promotion immobilière sont aussi très présents, mettant en avant des programmes de constructions modernes, en vantant de nouvelles façons de vivre. Incidemment, les programmes télévisuels sont inondés de publicités, de même que les mobiles, sur lesquels vous recevez très régulièrement de nouvelles offres. La famille modèle offre une image certes très éloignée des indiens que nous avons cotoyés jusqu'à présent. Néanmoins, dans la mesure ou aucun programme d'aide ne vient à la rescousse des individus, on assiste à une véritable lutte pour la survie et de plus en pour certains, à consommer. Cela dit, l'énergie dépensée est la même. Cependant, les dieux restent omniprésents, quelque soit le lieu où vous vous trouvez. Visiter un temple renommé revient à faire une queue interminable, le long de laquelle sont placées des urnes. La qualité de vos dons vous donnent un accès plus ou moins restreint au sanctuaire, gardé par des brahmanes. Et lorsque vous vous présentez pour présenter votre puja, c'est à peine si on vous en laisse le temps que des policiers vous poussent vers la sortie. Et encore, nous ne nous sommes pas retrouvés dans de grandes fêtes religieuses réunissant des milliers de pélerins. Certains attendent pendant plus de 24h avant d'être poussés comme du bétail vers le sanctuaire. Bien sur, les arrêts cardiaques, les syncopes pour cause de déshydratation sont fréquentes.
Alors oui, cette Inde là persiste, insensible au reste du monde, trop consciente de sa spécificité et du fait que l'étranger l'est radicalement.