samedi 12 janvier 2008

Beypore, son port, son chantier et sa plage



110108 – CALICUT

22h, Hotel Maharani, Room 304

Réveil matinal ce matin, avec un programme chargé : visite d'un chantier naval à Beypore et de l'école de Kalaripayat de Calicut.

Nous descendons rapidement dans la salle de restaurant, baignée par une onde sonore nauséabonde surgit du grand écran qui trône en plein milieu. Une fois le son diminué, nous faisons connaissance de Paul, pratiquement le seul homme blanc que nous ayons croisé depuis notre arrivée. Je l'entends parler français avec les enfants, et je l'aborde pour entamer la discussion. Il va sans dire qu'entre voyageurs, surtout quand ils sont rares, on se parle facilement, ne serait-ce que pour échanger les bons plans. Un voyage se dessine souvent de cette manière.

Paul est hollandais, munie d'une belle barbe blanche et fournie qui couvre un visage buriné. On voit surtout son regard, pétillant et sage; impression renforcée par des gestes posés. Nous l'avions aperçu une première fois à notre arrivée; et lui aussi.

Ainsi, suite aux questions que nous lui posons, notament sur ce chantier naval, il en vient rapidement à nous demander où nous comptons aller après Calicut. Comme nous restons un peu vague, il nous parle d'un de ses amis indien, marié à une américaine, qui est en train de monter un centre d'accueil pour des enfants « de la forêt ». Fort d'une expérience réussie à Richikesh, dans le nord de l'Inde, Johnson est revenu s'installé dans le Kerala. Il a identifié cette peuplade en pleine crise d'identité, vivant dans les contreforts montagneux qui départagent le Kerala du Karnataka 'Bangalore) et du Tamil Nadu (Madras, Pondicherry), puis a acheté une maison à proximité de leur territoire pour y accueillir les enfants et leur fournir un complément d'instruction. C'est ce que nous en comprenons pour le moment. Toujours est-il que Paul, son ami qui est venu lui rendre visite, nous propose d'aller séjourner dans cette maison. Nous acceptons.

C'est le charme du voyage, que les navigateurs au long cours connaissent aussi : on ne sait jamais, finalement, vers quel parage le vent va nous porter.

Je m'étais fait une raison sur les parcs nationaux : trop froids, aucune certitude de voir des animaux, un intérêt surtout lié à la marche donc très relatif à mes yeux compte tenu du fait que je porte Hortense pratiquement tout le temps...

Mais voilà, même si le contexte géographique est le même, il se trouve que nous allons débarquer dans un petit village, dans une maison sans fenêtres qui vient à peine de recevoir l'eau courante, où nous allons cotoyer des enfants qui ne sont jamais sortis de la forêt...

Il est quasi certain que là-bas, nous serons déconnectés, non seulement d'internet, mais peut-être aussi de la fée électricité. Nous verrons.

(22h30 : depuis un quart d'heure, le bar déverse ces clients juste sous ma fenêtre. Le bip strident des fermetures centralisées est agaçant; ne parlons pas des klaxons ni du vrombissement des moteurs, ni des fins de discussions aux accents d'ivresse sans contrôle)

Tout cela ne nous a pas empêché de partir et de couper la trajectoire d'un bus dont notre rickshaw man savait qu'il se rendait à Beypore. Comment décrire Beypore ? Un village de pècheurs à une quinzaine de km au sud de Calicut, coincé entre la mer d'un coté et l'un de ses bras qui ressemble à d'énormes estuaires ou des deltas et que l'on appelle ici « backwater ». Le sud du Kerala les exploite maintenant à des fins touristiques. Ici, pas encore. L'entrée du port industriel coûte 1 roupie et les photographies y sont interdites. Après quelques pas dans un sens et dans l'autre, où nous voyons des bateaux d'un tonnage très faible chargés de minerais, de sable et de cailloux à ce qu'il semble, on ne comprend pas bien à quoi rime cette interdiction. La seule distraction viendra du capitaine d'un petit tanker, à qui je demandai le chemin pour rejoindre le chantier naval. Il nous fait visiter son bateau : des soutes qui transportent chaque mois 1000 tonnes d'huile de palme entre Calicut et la Malaisie. Un poste de pilotage, une chambre pour le captain et son second, une cuisine qui ressemble à s'y méprendre à la cuisine de n'importe quelle cabane de pécheur, c'est à dire très très sommaire, une salle de bains et wc, la « crew room » avec ses six bannettes en carrés, et la salle des machines qu'il met en route : la température est rapidement insoutenable, comme le bruit, mais pour quelques minutes on se prend à revivre les meilleurs moments de « U-Boat » ou d'autres films qui font appel à l'ambiance d'une salle des machines... Comme il se doit, nous comprenons vite que la récompense pour cette visite consiste en une séance photo avec tous les membres de l'équipage. Nous tâchons de mettre en ordre la marmaille, qui renacle encore à l'exercice, malgré nos vives imprécations. Il faut s'imaginer nos mines réjouies devant nos hôtes (et la scène s'est produite plusieurs fois aujourd'hui, en particulier avec une champion ne d'althérophilie qui avait été à Nice), et nos bouches vociférantes de menaces entre nos dents pour que chacun y aille de son sourire... On en rit après !


La visite du chantier navale est une nouvelle occasion de rêver. Deux bateaux sont en construction, destinés à des croisièristes de Dubaï. On entend parler très souvent de Dubaï, chez nous, mais encore plus ici, par les gens qui y travaillent ou par les produits qui y sont exportés. J'apprend par l'architecte, « the designer », que la construction d'un de ces bateaux dure à peu près un an avec une quinzaine de charpentiers à plein temps. Le coût en serait d'à peu près 10 000 euros !! On se voyait déjà revenir à Saint Malo avec, comme d'autres le firent avec une jonque vietnamienne; celle que nous vîmes quelques temps au mouillage dans la baie de Saint Suliac, en Rance.

Mais bon, il fait chaud, et nous repartons en plein caganard pour reprendre le bus en passant par la plage. Les pècheurs habitent de belles maisons, simple et aérées sous les cocotiers, loin des turbulences de la circulation et du bruit de la ville. La vie semble douce et soumise au rythme intemporel des pêches côtières au filet ou plus lointaines pour le thon.

Arrivés à Calicut, nous maudissons une fois de plus le Lonely Planet, dont les recommandations pour les restaurants ne sont pas fiables. Pour une fois, l'inconditionnel du Lonely que j'étais, tire sa révérence au Routard, plus à jour sur cette destination. Après un byriani succulent, nous faisons une escapade sur la plage, en demandant au rickshaw de nous déposer à la limite de la ville. Je me baigne avec les enfants dans une mer très salée et très chaude, balotté par quelques vagues bienvenues. Séverine, du fait de la présence de quelques pècheurs, doit se contenter de nous regarder, à l'ombre d'une longue pirogue.

Le fait de ne pas se sentir très à l'aise à l'hôtel nous pousse à en sortir, si bien que nous finissons le programme de la journée par une séance d'entraînement de Kalaripayat.

Cet art martial est reconnu comme le plus ancien. Il suivit l'introduction du bouddhisme en Chine, et c'est ainsi que naquît le Kung fu dans les monastères de la vallée de Chao Linh. Il se dégage une ambiance particulière de la salle d'arme, celle-ci ayant déjà une cinquantaine d'années. Le sol de terre battue semble être imbibée de l'huile dont les élèves s'oignent avant l'entraînement. Les murs recouverts d'ocre donnent à la lumière une fraîcheur accentuée par les persiennes. On entend que le son assourdi des pieds et des mains qui heurtent le sol, ainsi que les respirations qui s'accélèrent à la fin des exercices. Le jeune maître qui nous a accueilli vient parfois pour mener la danse; alors sa voix au timbre sourd et grave rythme les figures des corps luisants.

On apprend que ces élèves viennent tous les jours, le matin entre 6 et 9h, et le soir entre 5 et 7h...

Le centre peut accueillir des étudiants en pension complète. La formation s'accompagne d'une étude approfondie de la médecine ayurvédique, à laquelle le Kalaripayat est étroitement associée. D'ailleurs, des gens patientent dans l'entrée pour consulter l'un des maîtres.

Il y aurait beaucoup à dire, là encore

Mais je suis fatigué

Les enfants ont pris goût au tchaï, mais après les avoirs vu courir dans tous les sens tout l'après midi, même aux heures les plus chaudes, ils n'y auront désormais droit que le matin.




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